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Quand j'ai commencé à tricoter, je me suis rendu compte assez rapidement que le temps devait être un allié, mais certainement pas une contrainte. C'est-à-dire qu'il fallait que j'accepte de jouer avec lui. Non pas en pressant les choses, mais en acceptant de prendre le temps nécessaire pour bien faire les choses.

 

Tout ce que j'ai tricoté pendant des années, c'était une occasion de faire des cadeaux aussi. C'est une vraie fierté de pouvoir offrir quelque chose qu'on a fait soi-même. On peut demander aux gens quelle couleur ils aimeraient, quel type de matière. J'ai tricoté beaucoup de paires de mitaines. Après, je me suis mise aux bonnets, aux écharpes. Et puis, depuis deux ans, je fais des pulls. Ça prend plus de temps.

 

Je teste des laines différentes, je mélange des matières, je mets du lurex dans la laine pour que ça brille. J'ai fait toute une série de bonnets avec des pompons. J'ai créé des modèles. J'ai beaucoup d'amis qui m'ont dit qu'il fallait que je vende mes créations. Mais moi, je ne prends pas ça comme ça. En fait, c'est vraiment ce que j'ai envie d'offrir.

 

Faire soi-même des choses, c'est un outil pour reprendre confiance en soi. J'ai vraiment envie d'encourager les gens à s'écouter et à oser essayer de faire quelque chose par eux-mêmes pour être libres, autonomes et nourrir l'estime de soi - qui est une bonne estime, je ne parle pas d'ego, je parle de s'aimer parce qu'on fait de belles choses. Et faire du beau. C'est si important aujourd'hui, on oublie de faire du beau. On veut faire, mais parfois, on voit que ça manque d'esthétisme, ça manque de sensibilité et je trouve que d'apprendre à faire, c'est aussi se connecter à son sens esthétique, à sa sensibilité artistique. On est tous des artistes. J'ai une grand-mère et une mère qui ont beaucoup tricoté quand j'étais petite fille. Notamment une mère qui m'a fait beaucoup de pull-overs. J'ai grandi avec des aiguilles et des pelotes autour de moi.

 

Il y a quelques années, j'ai eu envie de reprendre contact avec moi-même et avec aussi la fierté de pouvoir faire quelque chose de mes mains - et de pouvoir faire quelque chose assez facilement, rapidement, sans demander trop de moyens aussi bien financiers, que de temps ou d'espace, pas trop complexe, donc. Je suis allée un jour chez un ami, et sa femme était en train de tricoter. Quand j'ai vu ça - j'ignorais complètement qu'elle tricotait, mais quand je l'ai vu tricoter dans son salon, je suis tout de suite allée la voir et je lui ai demandé si elle pouvait me montrer déjà comme on refaisait une maille. Donc, elle m'a montré. Je l'ai filmée avec mon téléphone. Elle m'a montré comment on faisait une maille endroit, comme on faisait une maille envers, comme on montait un rang. En fait, avec ces trois techniques, je pouvais déjà commencer à faire beaucoup de choses. Elle m'a indiqué l'adresse de la boutique où elle achète sa laine.

 

Et donc, j'y suis allée dès le lendemain : j'ai acheté une paire d'aiguilles en bambou, une pelote de laine et j'ai commencé à tricoter. Après, quand j'ai commencé à maîtriser, à force de faire des mailles simples, j'ai tricoté tous les soirs... jusqu'à annuler des soirées d'anniversaire ou à partir en plein milieu. Je me souviendrai toujours de ça. J'ai quitté une soirée d'anniversaire en plein cœur de Bastille, où c'était la fête, j'avais tous mes amis, mais je n'avais qu'une envie, c'était de tricoter. Je leur ai dit au revoir et je leur ai dit "je vais à la maison parce que j'ai envie de tricoter" et c'était très drôle.

Après, j'ai commencé à prendre conscience que c'était facile de transporter ce matériel et donc je l'ai sorti de chez moi et maintenant, je tricote avec des aiguilles circulaires. Donc, ce sont deux embouts qui sont vissés à un câble. C'est un outil, les aiguilles circulaires, qui permet de tricoter en escargot, notamment c'est utilisé pour faire des bonnets, ça permet de ne pas avoir de couture à faire. Donc, on monte les mailles en continu et ça monte comme quand on fait avec de la pâte à modeler, un petit boudin qu'on tourne sur lui même. Aujourd'hui, c'est beaucoup utilisé pour faire même du tricot pas circulaire. Ce qui est très pratique, c'est que c'est un câble qui peut se plier, se tordre dans tous les sens. Donc, je peux faire une petite boule avec mes aiguilles et mon ouvrage et ma pelote et le mettre dans un tout petit sac. J'ai même tricoté debout avec des aiguilles circulaires sur le quai du métro.

 

Très souvent, on est toutes avec notre tricot dans notre sac H24 et on le sort dès que l'on prend le métro ou qu'on s'assied quelque part. Ça interpelle énormément les personnes âgées. C'est une génération, de femmes principalement, on ne va pas se mentir, qui ont beaucoup tricoté. Quand elles voient des personnes plus jeunes tricoter, en général elles sont étonnés parce qu'elles n'imaginent pas que ce soit toujours à la mode. Et pourtant, il y a une grande tendance aujourd'hui sur le do it yourself. Je l'explique par un manque de sens aujourd'hui, dans la société dans laquelle on vit. On est en quête de sens de beaucoup de choses parce que tout va très, très vite.

On a tendance à oublier l'authenticité de qui nous sommes et de ce que nous faisons. Le fait de revenir à des choses assez terriennes, le fait d'être dans la matière - de tricoter avec de la laine ou d'autres vont faire de la poterie, mais en tout cas, de fabriquer soi-même des choses de manière simple et assez basique, ça permet de reprendre contact avec l'essentiel. On est dans le faire et on est dans l'être en même temps, je pense, quand on tricote. Alors pourquoi est-ce qu'on est dans le faire? Parce qu'on fabrique quelque chose, donc c'est très tangible. Et on est dans l'être parce que on est connecté profondément à soi quand on est concentré sur une activité comme celle-là : ça met presque dans un état méditatif.

 

Le tricot a cette grande qualité d'apprendre la patience parce que ça prend du temps de bien faire les choses. Si on veut arriver à un ouvrage uniforme et harmonieux, ça ne se fait pas juste en claquant des doigts. Ça demande de l'attention et du temps. Et ça, c'est quelque chose qu'aujourd'hui, dans nos vies respectives, on a tendance à oublier, parce qu'on est dans une culture du consommable, de l'immédiateté, et qu'on oublie de faire attention, on oublie d'être concentré. On oublie l'essentiel, je pense, on oublie que parfois, attendre, c'est nécessaire. Souvent, on ne prend pas le temps de prendre de la hauteur sur ce qu'on fait. Et le tricot, du coup, oblige à ça. Les vertus d'une pratique comme celle-là, c'est de se rendre compte que quand on accepte de lâcher prise sur le temps qui ne nous appartient pas - et de prendre ce temps-là aussi, de le prendre pour nous et pour ce qu'on fait, ça permet de réaliser de très jolies choses.

 

Et dans la vie, c'est pareil. Je pense que ceux qui veulent forcer le rythme des choses finissent toujours par être déçus. Parce qu'ils n'ont pas laissé le temps faire les choses. Moi qui suis quelqu'un qui aime faire beaucoup de choses, ça m'a obligée à ça. À accepter, voilà, accepter de prendre le temps. Et c'est une grande leçon de vie pour moi.

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