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Je te disais qu'il y avait 90 milliards d'individus qui étaient déjà passés sur Terre avant nous. Ça fait... beaucoup.

 

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Quand je me promenais avec mes grands-parents, on rencontrait toujours des cousins, des cousines. Je leur demandais "mais comment on est cousins, comment on est cousines". Parfois, ils ne le savaient même plus tellement ça remontait loin. Mais c'est quand même avec eux que j'ai réalisé mes premiers arbres généalogiques et que j'ai commencé à m'intéresser à la généalogie, et à essayer de trouver l'ancêtre commun. Une fois qu'on a l'ancêtre commun, on veut savoir qui est-ce qu'il y avait avant, et encore avant, et encore avant. Et puis bon, c'est l'engrenage.

 

Alors, une des questions qu'on pose toujours aux généalogistes, c'est de savoir jusqu'où ils sont remontés dans l'ensemble des branches. Là, moi, je suis remontée à peu près aux alentours de 1700 : ça fait à peu près 10-12 générations. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas d'avoir une liste de noms d'ancêtres, mais d'essayer de recréer un petit peu la cellule familiale, donc d'avoir chaque couple, de voir leur profession, là où ils habitaient, les enfants qu'ils ont eus, ce que sont devenus les enfants, etc.

 

C'est des noms qui n'ont pas été prononcés depuis des centaines d'années donc là, on repense à eux, on les fait un petit peu revivre. Oui, on a l'impression de les tirer de l'oubli. J'ai l'impression qu'il y en a que je connais plus intimement que d'autres, ceux pour lesquels il a fallu chercher plus longtemps. Et puis ceux qui ont des histoires, qui nous touchent un peu plus. Par exemple, il y a des gens qui ont eu trois paires de jumeaux ! Et il y en a un qui s'est marié six fois - je l'avais surnommé Barbe Bleue. Tout un tas de choses comme ça, qui nous touchent plus ou moins.

 

Et puis, ça donne aussi un regard sur la vie à cette époque-là, qui était quand même très différente de la nôtre. À chaque fois, ça, ça me navre. Quand je lis tous ces décès d'enfants en bas âge, les femmes qui meurent en couches. Quand on pense qu'un enfant sur deux atteignait l'âge adulte au 18e siècle, c'est assez éprouvant.

 

Une de mes plus grandes joies généalogiques, c'est quand j'ai trouvé l'acte de décès de mon arrière arrière grand-mère qui avait le même nom, le même patronyme que moi. Alors c'était un peu difficile parce qu'elle avait abandonné ses enfants dès la naissance, à l'hospice, et ils n'avaient plus jamais entendu parler d'elle - ni ce qu'elle était devenue, où elle était morte, etc. Donc moi, j'avais cherché un peu partout, dans tous les lieux où elle avait vécu aux alentours.

C'était en hiver, aux alentours de Clermont-Ferrand, et c'est vraiment le hasard. Comme souvent en généalogie, il y a des hasards heureux. C'est en examinant les recensements de population du village où habitait une de ses sœurs. Bon, comme c'était un petit village, moi, je regarde tous les noms, et tout d'un coup : je tilte sur un nom qui lui correspondait. Là, j'avais le cœur qui battait et effectivement, c'était bien elle, qui vivait avec son mari, puis d'autres enfants. Elle s'était mariée par la suite, mais elle n'avait jamais recherché à voir les enfants qu'elle avait abandonnés.

 

J'ai aussi vu une ancêtre qui est devenue la belle-sœur de sa fille parce qu'en fait, elle a épousé le frère aîné de son gendre. Pourtant, les règles de l'Église à cette époque étaient vraiment très strictes. On ne pouvait pas se marier ensemble si on était parents au quatrième degré, c'est-à-dire si on avait eu les mêmes arrière arrière grands-parents. Il fallait demander une dispense au pape - comme c'était quand même trop compliqué d'aller voir le pape pour demander l'autorisation de se marier, on demandait à l'archevêque du diocèse où on habitait. On était obligés, parce que quand le mariage était découvert et qu'on découvrait qu'ils étaient cousins, c'était considéré comme un inceste. Donc, le mariage était annulé et une fois la dispense, il était réhabilité, ils pouvaient se remarier à nouveau. Mais alors, quand on trouve une dispense, c'est un document très intéressant pour un généalogiste, parce que ça nous donne toute la parenté jusqu'aux deux fois arrière grands-parents.

 

Ah oui, ce qui a changé la généalogie, c'est l'ère de l'informatique. Moi, quand j'ai commencé la généalogie, j'avais des petits cahiers, des petites fiches, des répertoires et donc il fallait vraiment tout mémoriser. Alors que maintenant, j'ai près de 30 000 personnes qui sont indexées dans la généalogie, donc, si c'était manuscrit, je n'y arriverais pas. Internet oui, ça a donné un nouvel essor à la généalogie. D'abord avec la numérisation de l'état civil par les archives départementales. Maintenant, les registres paroissiaux et tous les registres d'état civil ayant été numérisés, on y accède chez soi alors qu'avant, il fallait aller dans les salles d'archives, il fallait réserver. Fallait se dépêcher de consulter le document avant que ça ferme. Fallait écrire aux mairies, attendre les réponses. Enfin c'était vraiment... On travaillait vraiment au coup par coup. Alors que là, on met les bouchées doubles.

 

Ils mettent le cadastre aussi en ligne, parfois. Il a été établi sous Napoléon et c'est un peu pour déterminer l'origine des propriétés de chacun. Donc, il y a la limite des champs, des prés, des maisons. Tout est reconstitué à l'échelle ; les bois, les forêts. C'est un travail d'une précision magnifique. Donc là, c'est assez ancien, on peut se remettre dans l'esprit, dire bah oui, là, il était entouré de forêts, donc c'est pour ça qu'il n'allait pas dans le village voisin, mais plutôt vers celui-là, où l'accès était beaucoup plus proche. Ce qu'on voit dans les mariages : il y a des préférences, qui se marient de village à village, ils ne vont pas de ce côté là. Et après oui, si on regarde sur la carte, on voit pourquoi : parce qu'il y avait des distances où il fallait traverser une grande forêt, donc c'était plus difficile.

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Je continue quand même à fréquenter avec plaisir les salles d'archives, et j'y vais pour consulter les dispense de mariages des registres de notaire, les choses qui n'ont pas été numérisées et qui ne le seront jamais, parce que c'est une quantité énorme de documents. Bon, ça fait plaisir de fouiller dans les vieux papiers, voir les boîtes noires de poussière. Ce qui est intéressant aussi, c'est les notes des curés qu'on rencontre dans les registres. Alors ils font des réflexions sur la météo, comme de nos jours, ça n'a pas tellement changé. Les travaux dans l'église, les guérisons miraculeuses aussi, les gens qui venaient en pèlerinage. Toute une vie, là, qu'on peut retracer.

Et parfois, on les maudit aussi, ces curés, quand ils oublient de noter les actes. Ou alors quand ils écrivent vraiment, affreusement mal, qu'on ne peut pas déchiffrer.

 

On a retrouvé des registres, il n'y a pas longtemps, dans des brocantes. Des registres paroissiaux qui ont été mis en vente. Je ne sais pas comment les gens les avaient obtenus, mais ça arrive, qu'il y en ait qui refassent surface. Mais bon, comme les curés ne les tenaient pas avant le début 16ème, c'est sûr qu'après, on peut pas remonter.

Mais c'est bien qu'il y ait une limite aussi, parce que ce serait un puits sans fond. Mais ce qu'il faut accepter, oui, c'est cette frustration, se disant dommage, là, je ne peux pas aller plus loin. À moins d'un hasard miraculeux.

 

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Je trouve que quand on fait de la généalogie, on se sent vraiment inscrit dans la chaîne de l'humanité, un peu comme sur une frise chronologique. On voit tous les milliards qui nous ont précédés, tous les milliards qui suivront.

On s'interroge sur notre place dans le monde, le sens de la vie. On se dit que si un des maillons avait manqué, est-ce qu'on serait là ? Ça pose plein de questions. Il a fallu tous ces gens pour en arriver à toi. Parce que s'il y en avait un... Si elle n'était pas morte et s'il ne s'était pas remarié, est-ce que tu serais ce que tu es ? Cela interroge alors. Ce qui fait qu'on est soi. Est-ce que ça vient de tous ces gens là ou...

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Oui, je pense que justement, je suis peut-être le résultat d'un petit peu de chacun, une petite parcelle de chacun de tous ces gens. C'est ce que je me dis, je me sens attachée à eux quand même. Même si je sais qu'il y en a plein, je sens un lien. Je ne sais pas comment le qualifier, mais oui, je me dis qu'il y a une petite parcelle de leurs gènes en moi, qui se perpétue.

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