Faire une collection pour moi, c'est pas l'idée de posséder. Ça n'a jamais été dans mon esprit, de dire : tiens, je suis content d'avoir des pièces, etc. Ça a été de dire - tiens, ça me permet de me replonger dans l'Histoire romaine, dans l'Histoire de France et dans l'Histoire du monde.
Comment je suis tombé dans le chaudron de la numismatique ? C'est bien sûr, comme toujours dans la vie, le plus pur des hasards.
Je suis allé en vacances quelques jours chez un de mes très brillants cousins. Puis, le jour où je partais, il me dit "tu n'emmènerais pas avec toi un souvenir de Rome ?" "Tu sais, les souvenirs, c'est en général pour finir sur un poste de télévision ou dans une armoire". Et puis j'ai dit "allez", je me suis laissé aller et j'ai acheté ma première pièce, que j'ai payé 20 euros.
C'était un denier en argent de Sévère Alexandre. Et bien sûr, en arrivant chez moi, je l'ai mise dans une armoire et je l'ai bien sûr oubliée.
Sauf que quelques temps après, j'allais visiter une de mes filles qui était en poste à l'époque à Béziers. Ce jour-là, à Béziers, ce qui est peu courant - c'était en hiver, il faisait froid et il neigeait. On est rentré dans le premier magasin venu et le monsieur nous a dit : mais vous voulez quoi ? "On voudrait s'abriter". Il nous dit : rentrez, je vous en prie. Mais je lui dis : vous, vous faites quoi dans la vie ? "Monsieur, je vends des antiquités". Je dis : c'est intéressant ça. Alors il avait de tout : des dents de requin qui dataient de mille ans avant Jésus-Christ, etc, etc. Il avait un capharnaüm extraordinaire puis, je ne sais pas pourquoi, mais je lui ai dit : tiens, vous avez des pièces romaines ? Il me dit oui. Je lui dis : ça vaut cher ? "Ben, entre 1 et 5000 euros". Je dis on va plutôt regarder un euro. Il m'a amené un seau plein de terre et il m'a dit : dans ce seau, qui est un résidu de fouilles romaines, vous avez de la terre, mais vous avez des pièces de monnaie. "Alors moi, j'ai pas eu le temps de les trier, m'a-t-il dit, et vous allez regarder." Comme je n'avais rien d'autre à faire, ça tombait bien, j'ai fouillé dans ce seau plein de terre et j'ai exhumé des pièces de monnaies romaines. Certaines étaient absolument illisibles, d'autres étaient parfaitement lisibles. Et puis, ça s'est fait comme ça. Je lui ai acheté une douzaine de pièces que j'ai encore.
Et puis le deuxième événement, quelques temps après, mon père, qui était un homme assez exceptionnel, me dit : tiens, je vais te faire un cadeau à Noël. Je lui ai dit : tu vas m'offrir un classeur pour mettre mes pièces de monnaie. En plus, il avait même rajouté dans ce classeur une pièce féodale qu'il avait trouvée dans sa bonne vieille ville de Bourges.
Alors, quand on commence une collection, la première question à se poser, c'est se dire : mais qu'est-ce-que je vais collectionner, et où ça commence, et où ça s'arrête ?
J'ai commencé donc par l'Empire romain. Alors, je rappelle en deux secondes quelles étaient les monnaies à l'époque : la plus basse monnaie, la première, c'était une mesure de monnaie et de poids et de surface, ça s'appelait l'as. Au dessus de l'as, nous avons le sesterce qui lui est en bronze également, une pièce assez grosse et qui fait deux as et demi. Et puis, au dessus, on a le denier et le denier, lui, il fait quatre sesterces. Donc, le denier est en argent, c'est une monnaie qui est beaucoup plus élaborée. Et puis au dessus - ce qui est inaccessible pour le modeste collectionneur que je suis, c'est l'aureus, c'est-à-dire des pièces en or.
Ce qui est intéressant dans les pièces romaines, c'est le fait qu'une pièce dit beaucoup de choses. Je prends ici une pièce de Domitien par exemple, Domitien qui a régné de 80 à 96. C'est un denier en argent qui date donc de 92. Dans une pièce, il y a le recto et le verso. Le recto s'appelle l'avers et le verso s'appelle le revers. Sur l'avers, on a Imperator Caesar Domitius Augustus Germ PM TR P12, c'est-à-dire qu'il a été grand pontif et le douzième de la puissance tribunitienne : on donne déjà des éléments. L'Empire romain, il a commencé quand - ben, il a commencé en -27. C'est donc Auguste. Qui était-il dans cette lignée des grands de l'Empire romain ? Il était en fait le neveu de César. César l'a adopté. Il a adopté Octavien, qui est devenu Octave. Octave a fait partie de quelque triumvirat. Et puis donc, Octave s'est autoproclamé (on peut le dire comme ça) : Auguste, c'est-à-dire empereur. Ensuite, on a eu son fils adoptif, Tibère, puisque les empereurs romains (qui étaient plus intelligents là-dessus que les rois de France), préféraient avoir comme successeur quelqu'un de compétent plutôt que le fils qui ne l'était pas forcément. Donc, si le fils était compétent, il était empereur, s'il ne l'était pas, on adoptait celui qui le serait.
Alors, quand on dit l'Empire romain s'est écroulé en 476 : c'est vrai, mais c'est à moitié vrai, parce que les empereurs romains avaient créé un deuxième empire - parce que c'était très difficile de gérer l'ensemble complètement, un deuxième empereur était en place à Constantinople. Et cet empereur d'Orient, il a finalement survécu à l'Empire romain d'Occident, avec des pièces un peu différentes, qui s'appelaient en général les follis, avec souvent, très souvent, une image du Christ sur les pièces - ça c'est très nouveau, sur l'Empire romain d'Occident il n'y en avait pas. Cet empire, finalement, s'est effondré avec la prise de Constantinople par les Ottomans et donc après, ça a été l'Empire ottoman avec le développement des sultanats, etc. Donc ça s'est terminé. Je dirais alors qu'il me manque encore quelques pièces - j'ai laissé les cases libres dans mon classeur.
Donc après ça, j'ai dit : bon, j'ai terminé l'Empire romain, j'ai terminé l'Empire byzantin. Et si je continuais et qu'est-ce que j'ai d'autre comme idée ? L'idée qui m'est venue juste après, ça a été de dire : si je m'intéressais aux rois de France. Effectivement, les rois de France, au départ, n'ont pas battu monnaie, parce que les féodaux battaient monnaie. Et puis, bon, petit à petit, le royaume de France ne s'est pas fait en un jour. C'était des pièces qui avaient des noms très, très différents, les monnaies royales. Il y avait les tournois, les parisis, les gros, les blancs, les liards, les sizains, les douzains. Liard, c'est un nom qu'on entend encore, mais sinon, il y avait des pièces très différentes, avec un système digne des Anglais, puisqu'un liard égal 3 deniers, un sizain égal 6 deniers, 1 douzain égal 12 deniers, enfin bon, c'était compliqué. Et puis après, dans les royales tardives, apparaissent les sols, les écus et les louis. Un louis d'or égal 4 écus égal 24 livres.
Donc, les rois de France, il y en a eu combien ? Une soixantaine, je pense, de rois de France, à peu près. Il m'en manque encore quelques-uns. Soit il en manque parce qu'ils ont très peu battu monnaie, soit parce qu'ils sont trop chers, soit parce qu'ils ont régné trop peu longtemps. C'est le cas de Louis X le Hutin. Louis X le Hutin, tout le monde connaît son nom en se demandant ce que c'est qu'un hutin, d'ailleurs. Alors un hutin, c'était un querelleur.
1792, la royauté s'arrête, la convention est arrivée. Là, on a pour la première fois sur les pièces "la République française, liberté, égalité, fraternité". Et puis, on tape sur le système décimal donc 1 centime, 2 centimes, 5 centimes, 10 centimes, etc.
Ensuite, on a l'empire - premier Empire. Mais là, on est toujours sur le système décimal. Alors bon, Napoléon, bien sûr, a eu sa période d'expansionnisme important et il a frappé monnaie dans tous les pays où il est allé avec sur la monnaie, soit son effigie, soit ses frères qui étaient tous disséminés comme rois dans tous les pays qu'ils avaient occupés.
Et reviennent les rois de France : les frères de Louis XVI - puisque Louis XVIII et Charles X étaient des frères de Louis XVI. Ils ont frappé toujours des monnaies, sans revenir aux valeurs de l'ancien régime - c'est-à-dire qu'on est toujours dans le système décimal et les francs et qui va durer jusqu'à aujourd'hui.
On arrive à la deuxième République, 1848. On reprend donc la liberté, égalité, fraternité, puisque sous les rois de la restauration, il était marqué "roi de France" et il était marqué rien d'autre, il n'y avait pas du tout l'emblème de la République.
La troisième République, 1871. Alors là, c'est une série qui s'appelle le franc Cerese. Alors quand on dit le franc Cerese, Cerese, c'était le graveur.
Et le franc Semeuse, 1898-1920. Ce franc a comme effigie sur son avers, la fameuse semeuse, qui est une femme qui sème des céréales, sans doute du blé, d'ailleurs. Et curieusement, en 1960, on a repris cette effigie. J'ai ici une 5 francs Semeuse de 1962, et j'ai ici un 2 francs Semeuse de 1914 : c'est rigoureusement la même gravure.
Ensuite, on a le franc Lindauer, 1914-1946, avec une particularité : c'est qu'il y a un trou au milieu. D'ailleurs, je me souviens que les grands-parents s'en servaient souvent comme rondelle quand il fallait visser une vis, on prenait ces francs avec un trou au milieu, puis on vissait le truc. C'était pour récupérer du métal, tout simplement.
C'est amusant parce que je revois quand je feuillette ma collection, la pièce de 100 francs de 1955. Quand j'étais gamin, maman me donnait une pièce de 100 francs pour aller acheter un litre de lait.
1958 : on a divisé la valeur du franc par 100. On est ce qu'on appelle le nouveau franc.
Et puis la fin du franc : 2001. Alors je vous rappelle que le franc, il a duré de la Révolution française à 2001, c'est-à-dire qu'il a été sur une période extrêmement longue, extrêmement longue.
Puis après, je me suis dit mais je ne vais pas m'arrêter là quand même ! J'ai dit : tiens, on va s'intéresser au monde. Alors le monde, bah le monde tel qu'il est aujourd'hui, c'est un ensemble de pays. Il y a à peu près 160 pays dans le monde. Qu'est ce qu'un pays ? C'est une question qu'on peut se poser. Un pays, c'est d'abord un hymne national, un drapeau, une monnaie, une constitution. On peut dire ça. Et puis, c'est un ensemble territorial qui est reconnu par la communauté internationale, c'est-à-dire qui est reconnu par l'ONU. Alors je me suis dit tiens, et si je faisais tous les pays du monde. Donc : l'Europe. Alors, qu'est ce qui est fascinant dans l'Europe ? L'Europe, ce qui est fascinant, c'est que les pays sont plus les mêmes. J'ai une pièce de Yougoslavie, de Tchécoslovaquie. L'Afrique a beaucoup évolué aussi, avec des pays notamment, qui peuvent paraître étonnants. Le Darfour - le Darfour n'est pas reconnu sur le plan international, sauf qu'il y a des pièces du Darfour. Somaliland : il y a des pièces également frappées. Ce qu'on peut dire sur ces pays qui ont frappé monnaie mais qui ne sont pas reconnus, c'est que le fait d'avoir une monnaie, c'est déjà une preuve d'existence. Il faut déjà une certaine puissance, finalement, pour frapper des monnaies. Je pense qu'ils ont voulu, par ces monnaies, essayer de se positionner par rapport au monde et quelque part, de se justifier un peu. J'ai une pièce par exemple, du Nagorny Karabagh. Bon, là aussi, c'est un pays qui n'existe pas en tant que tel. C'est assez étonnant, donc, que ces pièces permettent de revoir un peu, finalement, la géographie du monde et la géopolitique, la géopolitique mondiale.
Et puis, ça remet des idées en place sur la géographie du monde. Quand on commence à s'intéresser aux îles du Pacifique, on s'aperçoit qu'on les connaît très mal, qu'on ne sait pas trop la différence entre la Polynésie et la Mélanésie, etc. Finalement, ça oblige à revoir un peu la position de tous les pays du monde.
Que deviendra ma collection? C'est peut-être la question finale. J'aurais aimé qu'une de mes filles ou petites-filles s'y intéresse. J'aimerais que ça reste en l'état, d'autant plus que ça ne prend pas beaucoup de place par rapport à beaucoup d'autres choses. La seule chose, c'est que les classeurs sont très lourds parce que ce ne sont pas des classeurs de timbres, mais des classeurs de pièces !